Faire vivre un ouvrage
[Billet originalement publié fin janvier 2019. Suite à un énorme souci côté hébergeur qui a perdu l'intégralité du site et aucune sauvegarde n'est disponible, j'ai dû refaire le blog... Parfois, certains articles - comme celui-ci - ne sont pas disponibles dans la Web Archive. Antédater n'est pas possible, d'où les dates de publication en mars 2020.]
Cela fait un moment que j'ai envie de parler du chemin parcouru et de ce que les échanges avec vous, lecteurs et lectrices, m'ont apporté. Depuis le début de l'aventure de "La face cachée d'Internet", j'ai l'impression d'avoir vécu au moins deux vies. (C'est la version enjolivée de "j'ai vieilli"... mais passons.) Depuis le début de l'écriture, il y a eu la publication, les soucis d'e-book, les réimpressions de la version brochée, le Prix du Livre Cyber "Grand Public" du FIC 2018, l'annonce de la ré-édition en version poche et des dizaines d'interventions publiques et privées, du cours en fac au séminaire d'entreprise, de la dédicace dans la petite librairie à Trifouillis-les-Oies à la keynote pour des confs à forte visibilité.
Mais avant tout, il y a eu énormément d'échanges, de débats et de partage. Dans ces quelques lignes, j'aimerais y revenir.
Vient le choix du titre... Quand j'ai rencontré Agnès et Maëva, mes éditrices chez Larousse que j'adore, elles avaient en tête le titre "La face cachée d'Internet". Au début, je n'étais pas fan, je me disais que le titre est sensiblement clickbait. Puis, avec le temps, avec l'évolution de l'écriture, j'ai également évolué et je me suis dit que ce serait intéressant de "prendre le taureau par les cornes", d'assumer ce titre et de jouer avec. Ce site, le mail correspondant et l'habillage des différentes présentations que je peux faire du livre en témoignent.
On se pose aussi des questions sur la couverture. Qu'est-ce qui est suffisamment attrayant sans être insignifiant et quelconque ? Qu'est-ce qui traduit le fil rouge sans travestir l'esprit ? Au final, vous n'avez pas énormément de marge de manœuvre : après tout, vous, l'auteur-e, n'êtes pas le public cible. Je sais que certain-es ont pu trouvé la couverture quelque peu criarde. Me concernant, tout comme le titre, je l'assume et je l'aime bien (on y reviendra). Vous avez cependant échappé à vraiment criard : la couverture actuelle avec, en gros dessus, le masque Anonymous...
Une fois les émois esthétiques passés, vous trépignez de recevoir la version finalisée mise en page. Je n'étais pas déçue : le facteur a apporté un monstre de papier que j'ai tenu sur mes genoux pendant 1 semaine en essayant tant bien que mal de finir les corrections. Si vous avez constaté des coquilles dans la tout première impression, c'est parce que je ne voyais plus ce que je lisais. Après les séances d'autoflagellation nommée "Chapitre 1" (c.-à-d., ses 5 versions, tellement j'étais mécontente du contenu), les relectures successives et l'effort de préserver, toujours toujours toujours, une cohérence du tout, j'en avais la nausée en relisant. Par endroits, la copie papier déteignait et j'avais ainsi les mains un peu sales... (J'ai échappé au pire : être l'inspiration de Sartre.)
Au bout de ces errances intellectuelles, physiologiques et émotionnelles est le BAT. Dans le jargon de l'édition, c'est la version tamponnée "bon à tirer". Le BAT part chez l'imprimeur lequel répond avec un livre complet, couverture, mise en page et autres chapitrages inclus. Recevoir la matérialisation de tant d'investissement personnel, ça fait verser une larmichette même à une cynique endurcie telle votre serviteure.
Eh oui, ça change tout. Parce qu'en réalité, j'ai déjà écrit un chapitre de livre, des mémoires et rapports divers, de nombreux articles (de recherche et destinés aux médias de tous genres), un livre à 4 mains,... Faire l'ouvrage qu'est "La face cachée d'Internet" a surtout nécessité un environnement porteur et une confiance. Dans les autres cas, je fournissais un livrable, un devoir ou je réagissais à un sujet d'actualité. Il y a eu des moments ennuyeux et frustrants avec "La face cachée" aussi, mais globalement, je me suis bien marrée.
Et toute la magie est là. J'ai ouvragé un livre pour qu'il apporte de la connaissance, de la curiosité, des blagues pourriTes, un peu de répit de la constante et épuisante dialectique de la peur. Oui, même si parfois, il faut s'accrocher, il ne reste pas moins que mon plus jeune lecteur a 11 ans ! Oui, les références sont péniblement formatées, mais j'ai réussi à nourrir mon propos sans qu'il paraisse comme un argument d'autorité. Parfois, le langage est plutôt familier que commun, je sais que d'aucuns en ont été perturbés. Oui, je connais la frontière entre la familiarité et le commun, entre le formel et le châtié... et je m'en amuse, j'y saute à pieds joints. Mais pour toi qui lis, c'est comme si je te parlais et cette proximité, cette participativité, je la chéris.
Alors non, je ne pense pas avoir pris le melon en pensant que j'ai ouvragé 350 pages de réflexion collective sur les enjeux du numérique. Même les choses prétendument anodines se sont prises à ce jeu. Par ex., si vous faites partie des sachant-es de la technique, il se peut que je vous pose la question des deux bugs sur la couverture. Sauriez-vous les trouver ? Pour les passionné-es, sauriez-vous attribuer le code sur la couverture ?...
C'est pourquoi j'avais trouvé naturel d'accompagner la lecture. Que ce soit au travers de conférences, dédicaces, interventions diverses, que ce soit en aidant des journalistes à s'approprier des sujets complexes pour en rendre compte avec justesse, etc. C'est épuisant, je ne le cache pas, rien que parce que parcourir la France en long et en large en moins de 10 jours, 2 fois par mois, ça crève. Et arrive le moment où vous vous rendez compte qu'on vous reconnaît. C'est perturbant : dans le TGV, sur le quai du métro, dans un co-working,... Lors d'évènements pros de tous genres, les gens vous approchent avec un grand sourire et un "Bonjour Rayna !" avenant. Pendant que vous sentez presque se matérialiser la légendaire goutte de sueur froide sur votre tempe en cherchant désespéramment qui est la personne, vous entendez immanquablement "J'ai lu votre ouvrage, vraiment super !".
Être accessible pour répondre, expliquer, recentrer, démystifier, clarifier, faire un tuto sur un gestionnaire de mots de passe par mail à mon éditrice, aiguiller des gens sur des questionnements de carrière ou de formation, préciser que je ne pirate pas de comptes Snap pour nourrir l'espionnite parentale ou conjugale, laisser mes DM Twitter ouverts pour faciliter le contact (et le regretter amèrement en voyant arriver de la drague lourde), réparer la connexion Internet de ma gynéco, faire une prière à la divinité des talons pour m'aider à ne pas me vautrer en montant recevoir le Prix du Livre Cyber des mains de la ministre de la Défense,... Ce sont autant de signes de confiance et, quelque part, un pas dans la direction d'une meilleure compréhension et maîtrise des enjeux.
Et pour finir, en tentant de perpétuer ma réputation de personne hautaine, je reconnais que tout ceci est épuisant et... j'en suis reconnaissante. Même si "La face cachée" m'a aidé à faire une synthèse et à identifier à quoi j'aimerais consacrer mon jus de cerveau, je n'ai pas écrit pour moi. J'ai ouvragé des bouts de mon histoire de vie dans ce livre et vous avez su ouvrager le livre dans vos histoires de vie. Merci... et à une prochaine :-)
Cela fait un moment que j'ai envie de parler du chemin parcouru et de ce que les échanges avec vous, lecteurs et lectrices, m'ont apporté. Depuis le début de l'aventure de "La face cachée d'Internet", j'ai l'impression d'avoir vécu au moins deux vies. (C'est la version enjolivée de "j'ai vieilli"... mais passons.) Depuis le début de l'écriture, il y a eu la publication, les soucis d'e-book, les réimpressions de la version brochée, le Prix du Livre Cyber "Grand Public" du FIC 2018, l'annonce de la ré-édition en version poche et des dizaines d'interventions publiques et privées, du cours en fac au séminaire d'entreprise, de la dédicace dans la petite librairie à Trifouillis-les-Oies à la keynote pour des confs à forte visibilité.
Mais avant tout, il y a eu énormément d'échanges, de débats et de partage. Dans ces quelques lignes, j'aimerais y revenir.
Un livre
Ecrire un livre, c'est passionnant. On apprend beaucoup. On développe un vocabulaire exceptionnel en matière de jurons. On ré-apprend beaucoup, aussi, sur ses propres (in)compréhensions et (in)certitudes. On voit des idées naître, grandir, éclore, se muer. Certaines vivent mal le fait d'être supprimées de la version finale du livre, alors elles se retrouvent sur des blogs.Vient le choix du titre... Quand j'ai rencontré Agnès et Maëva, mes éditrices chez Larousse que j'adore, elles avaient en tête le titre "La face cachée d'Internet". Au début, je n'étais pas fan, je me disais que le titre est sensiblement clickbait. Puis, avec le temps, avec l'évolution de l'écriture, j'ai également évolué et je me suis dit que ce serait intéressant de "prendre le taureau par les cornes", d'assumer ce titre et de jouer avec. Ce site, le mail correspondant et l'habillage des différentes présentations que je peux faire du livre en témoignent.
On se pose aussi des questions sur la couverture. Qu'est-ce qui est suffisamment attrayant sans être insignifiant et quelconque ? Qu'est-ce qui traduit le fil rouge sans travestir l'esprit ? Au final, vous n'avez pas énormément de marge de manœuvre : après tout, vous, l'auteur-e, n'êtes pas le public cible. Je sais que certain-es ont pu trouvé la couverture quelque peu criarde. Me concernant, tout comme le titre, je l'assume et je l'aime bien (on y reviendra). Vous avez cependant échappé à vraiment criard : la couverture actuelle avec, en gros dessus, le masque Anonymous...
Une fois les émois esthétiques passés, vous trépignez de recevoir la version finalisée mise en page. Je n'étais pas déçue : le facteur a apporté un monstre de papier que j'ai tenu sur mes genoux pendant 1 semaine en essayant tant bien que mal de finir les corrections. Si vous avez constaté des coquilles dans la tout première impression, c'est parce que je ne voyais plus ce que je lisais. Après les séances d'autoflagellation nommée "Chapitre 1" (c.-à-d., ses 5 versions, tellement j'étais mécontente du contenu), les relectures successives et l'effort de préserver, toujours toujours toujours, une cohérence du tout, j'en avais la nausée en relisant. Par endroits, la copie papier déteignait et j'avais ainsi les mains un peu sales... (J'ai échappé au pire : être l'inspiration de Sartre.)
Au bout de ces errances intellectuelles, physiologiques et émotionnelles est le BAT. Dans le jargon de l'édition, c'est la version tamponnée "bon à tirer". Le BAT part chez l'imprimeur lequel répond avec un livre complet, couverture, mise en page et autres chapitrages inclus. Recevoir la matérialisation de tant d'investissement personnel, ça fait verser une larmichette même à une cynique endurcie telle votre serviteure.
Un ouvrage
J'ai accepté d'écrire sur "les dark trucs sur Internet", pour reprendre les échanges premiers avec mes éditrices. A notre rdv de prise de contact, je suis allée avec ma nonchalance habituelle, j'étais curieuse de savoir ce que Larousse venait chercher sur ce terrain. Notre rdv de prise de contact a duré plus de 4 heures. On s'est rencontrées, mes éditrices et moi. Je parle d'une vraie entente. Au bout des 4 heures et demi, j'en suis sortie lessivée, mais on avait un cadre, un fil rouge et un accord de principe sur le format et la longueur. Et on a senti qu'on pouvait travailler ensemble, que malgré les différences de connaissances, de perception, d'analyse, on avait un but commun et une compréhension mutuelle de ce à quoi devait servir cet ouvrage.Eh oui, ça change tout. Parce qu'en réalité, j'ai déjà écrit un chapitre de livre, des mémoires et rapports divers, de nombreux articles (de recherche et destinés aux médias de tous genres), un livre à 4 mains,... Faire l'ouvrage qu'est "La face cachée d'Internet" a surtout nécessité un environnement porteur et une confiance. Dans les autres cas, je fournissais un livrable, un devoir ou je réagissais à un sujet d'actualité. Il y a eu des moments ennuyeux et frustrants avec "La face cachée" aussi, mais globalement, je me suis bien marrée.
Et toute la magie est là. J'ai ouvragé un livre pour qu'il apporte de la connaissance, de la curiosité, des blagues pourriTes, un peu de répit de la constante et épuisante dialectique de la peur. Oui, même si parfois, il faut s'accrocher, il ne reste pas moins que mon plus jeune lecteur a 11 ans ! Oui, les références sont péniblement formatées, mais j'ai réussi à nourrir mon propos sans qu'il paraisse comme un argument d'autorité. Parfois, le langage est plutôt familier que commun, je sais que d'aucuns en ont été perturbés. Oui, je connais la frontière entre la familiarité et le commun, entre le formel et le châtié... et je m'en amuse, j'y saute à pieds joints. Mais pour toi qui lis, c'est comme si je te parlais et cette proximité, cette participativité, je la chéris.
Alors non, je ne pense pas avoir pris le melon en pensant que j'ai ouvragé 350 pages de réflexion collective sur les enjeux du numérique. Même les choses prétendument anodines se sont prises à ce jeu. Par ex., si vous faites partie des sachant-es de la technique, il se peut que je vous pose la question des deux bugs sur la couverture. Sauriez-vous les trouver ? Pour les passionné-es, sauriez-vous attribuer le code sur la couverture ?...
La lecture active
Je parle comme j'écris et j'écris comme je parle. (Et je vise la concision, promis craché...) Ce n'est pas toujours simple. J'ose espérer que ce faisant, on parvient plus aisément à faire siens les questionnements dont sont gavés nos (més)usages numériques. Grâce à l'écriture, j'ai assumé mon rôle d'interface. Et "La face cachée d'Internet" est une action de médiation et de salubrité numérique.C'est pourquoi j'avais trouvé naturel d'accompagner la lecture. Que ce soit au travers de conférences, dédicaces, interventions diverses, que ce soit en aidant des journalistes à s'approprier des sujets complexes pour en rendre compte avec justesse, etc. C'est épuisant, je ne le cache pas, rien que parce que parcourir la France en long et en large en moins de 10 jours, 2 fois par mois, ça crève. Et arrive le moment où vous vous rendez compte qu'on vous reconnaît. C'est perturbant : dans le TGV, sur le quai du métro, dans un co-working,... Lors d'évènements pros de tous genres, les gens vous approchent avec un grand sourire et un "Bonjour Rayna !" avenant. Pendant que vous sentez presque se matérialiser la légendaire goutte de sueur froide sur votre tempe en cherchant désespéramment qui est la personne, vous entendez immanquablement "J'ai lu votre ouvrage, vraiment super !".
Être accessible pour répondre, expliquer, recentrer, démystifier, clarifier, faire un tuto sur un gestionnaire de mots de passe par mail à mon éditrice, aiguiller des gens sur des questionnements de carrière ou de formation, préciser que je ne pirate pas de comptes Snap pour nourrir l'espionnite parentale ou conjugale, laisser mes DM Twitter ouverts pour faciliter le contact (et le regretter amèrement en voyant arriver de la drague lourde), réparer la connexion Internet de ma gynéco, faire une prière à la divinité des talons pour m'aider à ne pas me vautrer en montant recevoir le Prix du Livre Cyber des mains de la ministre de la Défense,... Ce sont autant de signes de confiance et, quelque part, un pas dans la direction d'une meilleure compréhension et maîtrise des enjeux.
Et pour finir, en tentant de perpétuer ma réputation de personne hautaine, je reconnais que tout ceci est épuisant et... j'en suis reconnaissante. Même si "La face cachée" m'a aidé à faire une synthèse et à identifier à quoi j'aimerais consacrer mon jus de cerveau, je n'ai pas écrit pour moi. J'ai ouvragé des bouts de mon histoire de vie dans ce livre et vous avez su ouvrager le livre dans vos histoires de vie. Merci... et à une prochaine :-)